Un Cabinet d'Amateur
Blanc de meudon sur vitre, dimensions variables
Exposition à Zabriskie Point, curatoriat par Julie Sas et Étienne Chosson, Genève, février 2018
Crédits photographiques © Étienne Chosson 2018
À priori, Johana Blanc est peintre. Mais il convient surtout de voir dans son travail l’aboutissement logique de la machinerie purement mentale qui définit précisément le travail du peintre. À priori, Johana Blanc peint sur les vitres de Zabriskie Point Un cabinet d’amateur. Un cabinet d’amateur n’est pas seulement la représentation anecdotique d’un musée particulier ; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu’opèrent ces reproductions de reproductions, c’est une œuvre qui bascule dans un univers improprement original, où son pouvoir de séduction s’amplifie jusqu’au vide, et où la précision exacerbée d’un dessin en négatif, loin d’être sa propre fin, débouche, à posteriori, sur un vertige horizontal.
En convoquant les reproductions picturales des cabinets d’amateurs de Giovanni Paolo Panini, mais aussi celui, littéraire, et doublement fictif, de Georges Perec sur un même plan d’horizontalité brouillé et décuplé, le projet de Johana Blanc s’inscrit dans le champ d’une figuration autoréflexive qui questionne ses modèles, ses sources, ses références, son cadre culturel, mais aussi son histoire et sa temporalité.
Par le truchement d’un geste pictural à la fois modeste et minutieux, non dénué d’humour, l’artiste s’applique à l’exécution fragmentée d’un exercice d’admiration et de désacralisation reposant sur une stratégie des contraires. Cette stratégie des contraires, si elle renvoie d’abord, sans sa matérialité, à une question de surface (peindre en négatif), s’attache ensuite à ouvrir autant que fermer des espaces pour mieux en questionner leurs potentiels : celui de Zabriskie Point, mais aussi celui du médium, du genre, de la technique, ou encore celui de l’auteur et de son système de références culturelles.
Ainsi, à l’appropriation d’une œuvre picturale posant le problème du modèle (Panini), et à celle d’une œuvre littéraire posant le problème de sa source (Perec), répond ici une mise en perspective, paradoxalement aplanie, d’un système de références qui concerne autant la peinture figurative (son histoire, sa fabrication) qu’un problème, plus large, d’identification.
Car le cabinet d’amateur, en tant qu’il témoigne des normes sociétales et culturelles d’une époque donnée, mais aussi de la personnalité de son auteur, sert ici à la fois de motif et de métaphore des enjeux socio-culturels qui sous-tendent tout processus de sélection et de reproduction.
Dans un subtil jeu de revers, à la fois matériel et conceptuel, Johana Blanc rejoue les cartes de partitions impossibles : original et copie, répétition et différence, figuratif et abstrait, faits et fictions, passé, présent et futur.
Brouillage des vitres, mais aussi des références, des genres, des cadres spatio-temporels, des positions d’auteurs, fausses perspectives, omissions, fausses pistes, redoublements, mise en abîme et superpositions sont autant de procédés convoqués par l’artiste dans qui semble dessiner un portrait en négatif des enjeux de la reproduction à l’ère de l’inauthenticité. Jusqu’au point de sa disparition possible.
Julie Sas